UN PAYS BIEN SINGULIER (2e Partie)
En fait, et en une formule lapidaire, nous ne travaillons pas du tout pour un développement harmonieux. Nous ne sommes pas capables de planifier des programmes durables et viables. Pour preuve, certains de nos dirigeants se trouvent dans l’impossibilité d’expliquer de manière claire leur orientation politique. Nous nous rendons compte en ce moment précis qu’ils ne sont pas les vrais initiateurs de ces politiques, sinon pourquoi….? Et nous autres nous souffrons de cette situation surréelle.
L’angoisse se lit littéralement sur les visages ridés des vieux de cette population à l’image de nombreux vieux installés dans les grins dans les grandes agglomérations, sur les gwêlês sous l’arbre à palabre dans les contrées les plus lointaines, se demandant ce qu’ils vont pouvoir faire de leurs enfants. Leurs vieilles bouches édentées ont perdues tout sourire et toute joie de vivre.
Quand aux vieilles femmes elles se perdent en formules magiques ou mystiques et même divines, faisant le tour des marabouts, charlatans et autres marchands d’illusions. Pour la simple et bonne raison que l’échec d’un enfant retombe, à tort ou à raison, sur la tête de sa mère dans nos contrées. On est en droit de se demander la portée réelle de cette croyance fortement ancrée dans nos habitudes. Toujours est-il qu’elles sont les premières indexées. Dans cette tourmente elles restent les premières à souffrir dans leur âme et souvent dans leur chair. Alors que les causes profondes sont à rechercher ailleurs si on y prête attention.
Dans cette galère les marchands d’illusions de tous bords ont de beaux jours devant eux par ici. Cette nouvelle race de vampires ne recule devant rien pour plumer des citoyens incrédules. Dans cette histoire les torts sont partagés bien entendu. Et la situation accroît la lamentation des vieilles personnes qui s’apitoient très fréquemment sur le sort de leur rejeton tout en reconnaissant leur incapacité à apporter un semblant de réconfort à une situation qui les dépasse humainement.
Dans toutes les familles composant cette population il y a au moins un chômeur. Nous sommes souvent tentés d’affirmer que toute la jeunesse d’ici est au chômage, à l’exception notable de quelques privilégiés, tant les scènes de désolation sont nombreuses. Le fait le plus frappant reste la rareté des salariés en ce lieu, en effet rares sont les familles dans lesquelles il y a plus d’un salarié. Très généralement ce sont les chefs de familles qui le sont et qui peuvent parfois prendre en charge plus d’une dizaine d’individus ou sont à la retraite et jonglent avec leurs maigres pensions pour apporter quelque chose dans l’assiette familiale.
Ces facteurs combinés à la cherté de la vie contribuent à accroître la misère de ces populations. Ici le coût de la vie prend toujours des proportions vertigineuses tout le temps. Et les prix qui ne cessent de grimper ne connaissent jamais de courbes descendantes. Cette situation contribue à accroître la paupérisation de la population sans nul doute. Peut-on imputer tout cela à nos chères mères ?
A Kônônafilisso les scènes de réjouissance se font de plus en plus rares et la jeunesse se désintègre progressivement. Toutes les choses marchent à contre-courant dans ce pays. Ne me demandez surtout pas sa situation géographique, car je ne saurais la décrire avec exactitude. Tout ce que je sais, c’est qu’il se situe quelque part, au cœur même du Sahara Africain et fortement habitée par une population disparate.
C’est un véritable melting-pot où se côtoient diverses ethnies, des populations de toutes les conditions sociales et économiques et même des étrangers. Aussi de très belles maisons y côtoient des baraques pour ne pas dire des paillotes. Dans ce pays surpeuplé majoritairement de jeunes, la vie est loin d’être un havre de paix. A Kônônafilisso enfin et à l’instar de tous nos pays au sud du Sahara la jeunesse est confrontée à un scénario mélodramatique.
A propos de cette jeunesse la situation offre un tableau d’une mélancolie indescriptible. Villes et villages sont à peu près au même niveau. Simplement le constat est plus amer dans les villes à cause de la forte concentration des populations. En effet depuis plus d’une décennie les jeunes sont complètement désabusés et essayent tant bien que mal de donner un sens à leurs existences. Malheureusement le fossé qui s’est ouvert devant eux au fil des années est énorme et n’est pas prêt de se rétrécir.
Ici nous héritons des conséquences impitoyables de la mauvaise gestion de nos décideurs successifs. Une mauvaise gestion qui perdure encore de nos jours malgré le « changement ».
En analysant la conduite des individus composant la population de ce pays, nous constatons que la grande majorité ne suit pas les principes de vie élémentaires. Il s’agit de l’éthique, comme principe de base - de l’intégrité - de la responsabilité - du respect des lois et règlements - du respect pour le droit des autres citoyens - de l’amour du travail - de l’effort à l’épargne et à l’investissement - du désir de dépassement - et de la ponctualité.
A Kônônafilisso, seule une minorité suit ces principes de base. Nous sommes pauvres non parce que nous manquons de ressources naturelles ou parce que la nature a été cruelle avec nous. Nous sommes pauvres parce que nous ne prenons pas une attitude. Il nous manque la volonté pour accomplir et enseigner ces principes de fonctionnement. Et sans cela il serait hasardeux de prétendre à une émancipation économique. Et tout être endetté restera dans les chaines de l’esclavage jusqu’au paiement complet de sa créance.
Dans cette incertitude consécutive à toutes ces dérives, nous assistons également impuissants à la dépopulation de nos campagnes, jadis pourvoyeuses de ressources céréalières, pastorales et halieutiques. Et nous ne pensons même pas à la possibilité de fixer les ruraux dans leurs terroirs. Ici la pauvreté n’est pas un vain mot, elle fait partie du quotidien.
De l’autre côté ceux qui sont passés par les écoles connaissent une situation presque identique à celle des jeunes ruraux. Après de longues et dures années à s’essuyer les f… sur les bancs de l’école cette jeunesse se retrouve sans rien ou presque rien. Et dans cette atmosphère de sauve-qui-peut, il n’est pas donné à n’importe qui de se reconvertir. Et les tergiversations vont bon train.
Si à la campagne nous n’arrivons pas à nous départir de cette agriculture médiévale, en ville c’est l’à peu près des décideurs qui plonge la jeunesse dans les tourments du chômage. Et les recettes pour y remédier ne font qu’empirer la situation, car ne pouvant résoudre que l’immédiateté.
Lassana Tangara
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